2 pages, 122 mots sur la musique et la danse » de John Cage (1957)
* Action/performance proposée et réactivée dans le cadre de PERFORMING LIVES par Florestan Boutin/ septembre 2015
« 2 pages, 122 mots sur la musique et la danse » de John Cage, est parue dans le Dance Magazine en Novembre 1957, soit 14 ans après sa rencontre avec Merce Cunningham, qui fut déterminante pour sa vie d’artiste. De John Cage, je connaissais surtout sa musique et notamment celle qu’il a composée pour piano, « préparé » ou non. Cependant je savais qu’il avait écrit de très nombreux textes regroupés dans plusieurs livres sous le titre de conférences, écrits etc…, et c’est en parcourant un de ceux là, sobrement intitulé « Silence », publié la première fois en 1968, que je fus saisi par la « pièce » (dixit John Cage ) dont il est question, ici. Paradoxalement au premier abord, elle n’a rien de très séduisante, elle est constituée de mots et de phrases énigmatiques, éclatés sur 2 pages, écrits à la manière des Haïku et dont il est difficile, au premier abord, d’en comprendre le sens. Cependant petit à petit des relations se font jour entre ces propositions ; on voit par exemple que « A bird flies » peut être relié à « Slavery is abolished » ou « Each now is the time, the space », etc… et c’est alors un univers tout entier qui se met en mouvement, tissant son réseau de connexions entre ces phrases et nous délivrant, petit à petit, le sens profondément poétique du texte. Puis approfondissant ma lecture, je me suis rendu compte que John Cage nous invite par cette pièce, à rentrer dans la poétique du geste, qu’il soit intérieur ou extérieur, sonore ou dansé, musical ou chorégraphique. Ce geste est un tout en fin de compte, qui révèle en nous ce qu’il y a d’universel. Cela crée une dynamique, celle de la transformation, « Comprendre est en attraper le geste, et pouvoir continuer » nous dit à ce propos Cavaillès. Sans doute, cette idée poétique et philosophique, n’est pas étrangère à l’engagement de John Cage dans le Bouddhisme Zen, même s’il prend soin de nous dire dans son avant propos « What I do, I do not blamed on Zen, though without my engagement with Zen, I doubt wether I would have done what I have done . »
Ce fut une évidence pour moi que cette pièce correspondait exactement à ce que je cherche : montrer sous la forme d’une performance destinée à être donnée en public, qu’il n y a en réalité qu’un seul geste, celui qui, dans un aller-retour incessant, part de soi pour exprimer les mille sensations qui affleurent à la surface de ce gigantesque faisceau de relations cité plus haut et qui m’amène pour se faire, à utiliser mon corps tout entier, à commencer par la voix. Ce travail est devenu pour moi un véritable champ d’expérimentation, en perpétuel mouvement, prompt à féconder et à communiquer tout les possibles, dans la mesure ou le geste, d’essence poétique, est régi par l’organisation et le cadre stricte de la pièce et dont le centre est ma position d’instrumentiste, face au piano. Cette condition me rapproche d’encore plus prés, du pragmatisme de Cavaillès cité plus haut, lorsqu’il nous dit : « Par expérience, j’entends un système de gestes, régi par une règle et soumis à des conditions indépendantes de ces geste ». Puis je dire, pour autant, que ce processus créatif insufflé par cette combinaison singulière de mots proposée par John Cage, puisse avoir des parentés avec le courant de pensée du pragmatisme ? Si je m’en tiens finalement à l’idée qu’à propos de cette pièce et d’une manière générale, ma recherche, se tisse à mesure que le geste se déploie, et qu’il n’y a, a priori rien de définitif, alors oui, celle-ci se retrouve dans ce que nous dit Gilles Chatelet : « Le geste n’est pas substantiel : il gagne de l’amplitude en se déterminant […] Le geste n’est pas un simple déplacement spatial : il décide, libère et propose une nouvelle modalité de « se mouvoir ». » et, enfin , puisqu’ à travers mon travail, je constate que ce qui est , est déjà en train de devenir autre chose au moment même ou il a été saisi, j’aimerais pour finir, citer cet apôtre du pragmatisme qu’était William James : « Ce qui existe réellement ce ne sont pas les choses, mais les choses en train de ce faire ».